Yula S


Tout le monde connait le mythe de la Tour de Babel ! Un immense monument inachevé, entrepris par les "premiers hommes" pour atteindre le ciel. Cette allégorie m’a toujours fasciné. Elle a fait s’interroger plus d’un penseur et fait rêver plus d’un artiste. De fait, elle a donné lieu à énormément d’interprétations différentes. Je ne savais pas qu’un jour, elle m’inspirerait une méthode de travail...


A présent, c’est une image dont je me sers allègrement à tous les niveaux de l’apprentissage de l’instrument :
 à long terme : pour savoir où j’en suis dans mon parcours et où je veux aller,
 à court terme : pour structurer mes séances de travail et d’échauffement,
 dans la transmisson aux élèves : pour structurer mes cours.

Je vous propose de me suivre sur mon chemin de pensées... (en précisant que cette présentation sera régulièrement remaniée de manière à sans cesse la clarifier, développer de nouvelles idées et éventuellement corriger des formulations peu heureuses. A ce propos, je suis preneur de tout retour : me contacter)

Quand la montagne devint tour...


Une petite histoire...

Peu après le Déluge, alors qu'ils parlent tous la même langue, les hommes atteignent une plaine dans le pays de Shinéar et s'y installent tous. Là, ils entreprennent par eux-mêmes de bâtir une ville et une tour dont le sommet touche le ciel, pour se faire un nom. Dieu les voit, et estime que s'ils y arrivent, rien ne leur sera inaccessible. Alors il brouille leur langue afin qu'ils ne se comprennent plus, et les disperse sur toute la surface de la terre. La construction cesse. La ville est alors nommée Babel (terme proche du mot hébreu traduit par « brouillés »).

– La Bible, Genèse

Avec le recul, je trouve assez comique d’avoir eu recourt à cette image pour structurer ma pensée. Rassurez-vous, l’objectif est tout le contraire de ce Dieu "brouilleur de pistes"... Je me suis arrêté avant la fin de l’histoire et ne garde de cette allégorie que l’idée d’UNE ENTITÉ EN PERPÉTUELLE CONSTRUCTION.

Et cette entité, "je vous le donne, Emile", c’est nous ! Ou plus exactement, une REPRÉSENTATION THÉMATIQUE de NOS ACQUIS, NOS ENVIES et NOS BESOINS.


Je l’ai imaginée à une période où je n’arrivais plus à "avancer", je sentais que je piétinnais. Et pourtant, j’avais à ma disposition pléthore de méthodes et de partitions dans ma bibliothèque. J’avais une multitude de choses à travailler mais je ne savais plus par quel chemin continuer. C’est le fameux plateau de progression (ou de non-progression, devrais-je dire) qui survient dans la vie de beaucoup d’artistes.

Je pris alors les différentes thématiques de l’apprentissage de la batterie et les disposa sur le papier les unes au dessus des autres, en fonction de leur niveau de complexité et de leurs dépendances. J’obtins alors une véritable « TOUR de BABEL ».


peril jeune - easy to play guitar ?

Quand on entreprend de s’approprier un langage comme celui de la batterie, on peut vite avoir le sentiment de se retrouver au pied d’une montagne insurmontable, un peu à la manière de Bruno dans "Le Péril Jeune" qui lâche sa guitare après avoir écouté quelques mesures d’Alvin Lee, le génie de Ten Years After.



Devant une telle virtuosité, il est en effet facile de se décourager, ne sachant pas par où commencer.
Perdu dans l’ombre, dommage que Bruno n’ait pas pu lire ces lignes et trouver un professeur pour l’aider à transformer la montagne en cette fameuse Tour de Babel... [1]
Car c’est là les premiers bienfaits de cette image :

DEFINIR UNE PORTE D’ENTRÉE ET LES DIRECTIONS À PRENDRE POUR BÂTIR LES PREMIERS ÉTAGES.


La Tour accompagne ensuite le musicien tout au long de son parcours...
Après avoir accumulé énormément d’informations et d’habitudes voire de réflexes, le besoin de faire un bilan peut se faire ressentir.

SAVOIR OÙ ON EN EST DANS LA CONSTRUCTION, FAIRE LE PLAN DE NOTRE TOUR, POUR CLARIFIER LA SUITE, À COURT ET À LONG TERMES.


En résumé, l’intérêt de cette image est qu’elle permet à la fois de prendre une « photo », faire un bilan à un temps t, mais également de structurer les besoins par rapport aux envies.

On l’utilisera ainsi pour :
 DIRIGER LE PARCOURS DU MUSICIEN SUR LE LONG TERME
 PLANIFIER UNE PÉRIODE DE TRAVAIL, À MOYEN TERME (s’attarder sur une thémathique précise)
 ORGANISER UNE SÉANCE DE TRAVAIL OU D’ÉCHAUFFEMENT
 STRUCTURER UN COURS [2]

[1quoique la scène aurait été moins drôle...

[2Inutile de préciser que cette entreprise fût fort utile dans mon enseignement de l’instrument.

Un Monument fait de simples briques...

Les choses complexes sont souvent faites d’éléments simples.

C’est le principe de cette image : commencer par les éléments essentiels pour petit-à-petit, à mesure que l’on grimpe dans les hauteurs, parvenir à des formes d’expression plus complexes formées de ses éléments.

Si l’on prend l’exemple de la linguistique : à la base de la tour, se trouvent les phonèmes [1] (ou bien les lettres) puis les mots d’une langue, l’orthographe... Plus on monte, plus on considère l’emploie de ces mots acquis aux étages situés plus bas, la grammaire, la conjugaison... Et au sommet se trouvent les idées que l’on a envie d’exprimer et les manières que l’on a envie d’expérimenter pour les exprimer. C’est le vivier de notre musicalité, une sorte de laboratoire personnel où toutes les fantaisies sont permises.


Avant d’étudier de plus près l’Architecture de la Tour, voici une présentation très shématique de ses différentes strates :

  • Celle-ci est construite sur un TERRAIN à ne pas négliger : le corps et l’esprit.
    • Améliorer la détente et la concentration.
    • Prendre en compte la personnalité et la culture de chacun pour orienter la construction
  • Les FONDATIONS : compréhension du tempo et de ses multiples découpages.
  • Le REZ de CHAUSSEE : comment se positionner et créer des sons avec l’instrument.
  • Le PREMIER ETAGE : les rudiments, les nuances...
  • Les DEUXIEME et TROISIEME ETAGES : la coordination et l’indépendance des membres (2 étages intimement liés, imbriqués l’un dans l’autre)
  • Le QUATRIEME ETAGE : l’étude des différents styles de musique et des autres musiciens.
  • Le GRENIER : le laboratoire personnel où l’on expérimente toute sorte de folie, où l’on synthétise l’ensemble de la Tour en une manière personnelle de s’exprimer.
  • Le HAUT de la Tour : le but ultime ! S’exprimer seul ou en groupe.

[1En phonologie, un phonème est la plus petite unité discrète ou distinctive (c’est-à-dire permettant de distinguer des mots les uns des autres) que l’on puisse isoler par segmentation dans la chaîne parlée (wikipedia).

La Visite régulière
Parcourir la tour de Bas en Haut


Que ce soit lors d’une séance d’entrainement ou d’un cours, le but est de gravir la tour depuis sa base, de manière à :

 ÉCHAUFFER LE CORPS ET L’ESPRIT,
 RENFORCER LES BASES NÉCESSAIRES POUR CONSTRUIRE LES ÉTAGES SUPÉRIEURS,
 ACQUÉRIR UNE REPRÉSENTATION DE PLUS EN PLUS JUSTE DE NOS BESOINS.

Il s’agît à chaque fois de revisiter doucement les premiers étages afin d’acquérir une plus grande assise. Ceci se fait dans la détente, en profitant d’un paysage chaque jour de plus en plus familier.

Ainsi, il est préférable de ne pas prendre d’ascenseur, et CHOISIR LA PROGRESSION LENTE MAIS SÛRE DES ESCALIERS, DE MANIÈRE À TRAVERSER CONSCIEMMENT LES DIFFERENTS ÉTAGES ET APPRÉCIER LES DIFFÉRENTS PALIERS.

A chaque séance, on remonte donc les même escaliers tel un footing. C’est un éternel recommencement humble, permettant d’aborder l’instrument toujours de manière sereine.



Les dangers de se précipiter dans l’ascenseur :

 Si l’on commence par un exercice trop difficile ou que l’on demande à notre corps une trop grande dexterité à froid, on peut facilement développer des crispations, des tensions pouvant causer de gros dommages telles que des tendinites.
 Le fait de négliger les premiers étages peut amener à des incompréhensions et une mauvaise exécution de certains exercices.
Un exemple : Un jour, un élève s’est présenté à moi avec des partitions très compliquées qu’il me soutenait avoir travaillées. Il désirait faire du jazz. Je me suis finalement rendu compte que malgré toutes les notions de rythme qu’il avait, il était incapable de réaliser un véritable ternaire [1] qui, à son "niveau", aurait pourtant dû faire partie de ses fondations.



Note : Avec l’expérience, la visite peut toutefois se dérouler autrement. Arriver sur l’instrument pour exprimer directement ce que l’on a en nous, sans se "couper" avec des rudiments. C’est tout à fait possible et sain lorsque que l’on a acquis cette conscience de la globalité de la Tour, en étant alerte de tous les signaux, que l’on respecte son corps en démarrant doucement, etc.

[1découpage du temps en trois

Justesse de la construction

Dessine moi une tour !!

L’image de la Tour est très pratique car encore une fois, elle permet de visualiser très vite la justesse de l’apprentissage et les manques/besoins.


Ce premier cas illustre l’importance d’avoir des "bases" solides. Un coup de vent et cette tour s’effondre comme un château de cartes.

Cette image très simpliste est pourtant courante. Tout musicien peut être tenté de travailler des traits compliqués, sans se soucier de son bien-être corporel. Une concentration mal dirigée peut conduire inconsciemment à une respiration irrégulière, à une crispation des membres et créer de véritables troubles corporels.

Un exemple : La main directrice est par définition celle qui comprend et apprend le mieux. Derrière la batterie, c’est également elle qui dirige, qui drive. Elle va nottamment apprendre plus rapidement à controler le rebond et donc recycler l’énergie de chaque coup. En contexte de jeu, si nous ne sommes pas vigilant, on peut forcer la main non-directrice à suivre son tempo alors qu’elle n’est pas véritablement en mesure de le faire. Elle va développer des tensions inutiles, qui peuvent s’avérer à terme, fatales (tendinites...). Dans ce cas précis, comprendre un débit et savoir l’exécuter avec la main directrice ne suffit pas à l’aborder sereinement en vrai contexte de jeu. Il faut donc prendre le temps de redescendre les étages et laisser la main non directrice chercher à retrouver les sensations de l’autre main, de manière à augmenter petit-à-petit le tempo.



Le deuxième cas montre la nécessité d’ACCORDER SON VOCABULAIRE AU DISCOURS que l’on veut tenir.

Un exemple : essayer de jouer un "blast" [1], un débit très rapide aux mains et aux pieds, en ayant travaillé que les pieds. Dis comme ça, tout le monde est d’accord pour dire qu’il y a un non-sens. Et pourtant, ce cas n’est pas si rare.
Un autre exemple : Un occidental ayant acquis une grande technique en percussions classiques se découvre une nouvelle passion : la musique indienne. Il devra d’abord se créer une nouvelle entrée dans la tour, créer de nouvelles pièces dès la base de sa tour pour pouvoir aborder cette approche du découpage rythmique fondamentalement différente.



NUL TERRAIN N’EST VIERGE.
Ce troisième cas démontre l’importance de tenir compte du terrain du musicien en herbe.

Reprenons l’exemple du metal. Un jeune batteur en écoute depuis qu’il a l’âge de sauter sur le lit de ses parents. Il VEUT en faire !! Ses parents lui offre des cours. Mais son professeur déteste le metal. D’ailleurs, il appelle tout ce qui touche de près ou de loin le metal, du "hard rock" [2]. De fait, le professeur décide de suivre son "programme" habituel sans tenir compte des envies de son nouvel élève. Bien qu’il puisse certainement lui apporter de solides bases et que la plupart sont communes à toutes les musiques, et qu’il est toujours bénéfique de découvrire d’autres univers musicaux, il risque de causer une grande frustration voire démotivation en coupant chez l’élève, ce qui relie l’instrument à la musicalité. Si l’élève ne développe pas de lui-même des techniques appropriées au registre qu’il aime, il n’aura pas les moyens d’exprimer ce qu’il a en lui... Essayez de parler de poésie avec des codes informatiques, ou l’inverse, essayez d’écrire un programme avec de la poésie...



Ce dernier cas (mais il y en a certainement une infinité) représente un musicien qui a de bonnes bases mais qui petit à petit ne les a pas entretenues. Même une tour bien haute, et pourquoi pas fortifiée, n’est pas à l’abri des mésaventures. Une tendinite ou un manque de confiance en soi peut laisser le musicien plusieurs mois au pied de l’escalier. Cela montre l’importance d’ENTRETENIR LES FONDATIONS ET LES PREMIERS ETAGES.


Cette idée est esquissée par la bande dessinée "La Tour" de Peeters et Schuiten (voir ci-dessous).


Cela m’est arrivé à une époque où je jouais peu. J’avais pleins d’idées, j’écoutais toujours beaucoup de musique, j’étais toujours batteur dans ma tête mais lorsque je me remettais derrière l’instrument (de manière sporadique), je n’étais plus vraiment capable de jouer ce que j’entendais (ou croyais entendre). Mon rapport à l’instrument avait changé. J’en étais loin et développais de fait, des tensions inutiles...



Solitaire dans un titanesque édifice qui ne semble avoir ni commencement ni fin, Giovanni Battista est attaché à une tâche étrange : remettre en permanence en état, rafistoler cet immense bâtiment dont les voûtes, les arches et les montants semblent toujours à la limite de la rupture ou de l’effondrement. Il est l’un des mainteneurs de la Tour, limité à un étage en particulier. Mais le métier part à vau-l’eau. Et des trépidations suspectes commencent à se faire sentir dans les entrailles de la construction. Aussi Giovanni, un matin, laisse-t-il sa tâche de côté et entreprend-il une longue descente en direction de la Base, afin d’en référer aux instances supérieures…

[1figure typique du Death, Black Metal & Grind

[2ca sent le vécu...

Savoir laisser reposer le ciment frais
La patience dans l'apprentissage

Une des clés de l’apprentissage est LA PATIENCE.

Lorsque l’on commence un exercice difficile, il est important d’être indulgent avec soi-même. Commencer lentement et ne pas attendre de résultats immédiats.

Nous sommes faits ainsi. Le cerveau a besoin d’un temps de maturation pour stocker solidement une nouvelle information. Il est important d’en avoir conscience de manière à ne pas s’énerver sur un trait qui ne passe pas.

Bien souvent, à la fin d’une séance de travail intense, on peut avoir l’impression que les fils se touchent. C’est le comble ! L’exercice passe moins bien qu’au début de la séance ! Plutôt que de s’arracher les cheveux et de SE SURMENER INUTILEMENT, il est alors temps de laisser le cerveau se reposer et de passer à autre chose.


Pour reprendre l’image de la Tour, je dirais qu’IL FAUT SAVOIR LAISSER SÉCHER LE CIMENT AVANT DE VOULOIR CONTINUER À CONSTRUIRE.
On ne saisit pas forcément dans l’immédiat les infimes progrès accomplis. Et pourtant !! Si l’on reprend le même exercice deux jours plus tard, il arrive qu’un trait qui ne passait pas du tout, vienne presque facilement dans les doigts. Ca peut paraître magique ; dans tous les cas, c’est très enthousiasmant et c’est une des joies de l’apprentissage.


Cela vaut pour tous types d’exercices, aussi bien à la base (le travail de la tenue de baguette, de la gestion du rebond, etc.) qu’en haut de la tour (avec par exemple des exercices d’indépendances des membres).


Une autre idée importante à mes yeux : un trait acquis dans les mains ne veut pas forcément dire qu’il fait déjà parti de notre vocabulaire. Il faut un certain temps avant de savoir s’exprimer réellement avec les derniers mots appris. D’une manière générale, on accumule souvent bien des connaissances avant de faire un tri et de choisir ce que nous voulons vraiment exprimer.
On entends parfois cette expression :

Ce musicien joue des plans !

C’est le cas inverse, lorsque les mots ne sont pas bien digérés. On se retrouve alors en fasse d’une culture que l’on pourrait qualifiée de quidique. Les mots sont presque dépourvus de leur sens et le musicien s’amuse à déballer tout un vocabulaire qui n’est pas encore véritablement le sien. Attention, je ne juge pas ce comportement. Tout musicien y est plus ou moins confronté. Et on peut voir ça positivement comme un banc d’essai propice à la maturation du vocabulaire en question. Il me semble juste important d’en avoir conscience.

LES Tours de Babel
A chaque musicien, sa tour...


Le chapitre précédent suggèrait cette idée :
IL EXISTE AUTANT DE TOURS DIFFÉRENTES QUE DE MUSICIENS.

Au risque de me répéter, l’important est de rechercher une cohérence dans sa construction, en harmonie avec son terrain.

Il ne s’agît donc pas d’imiter la Tour du voisin mais de s’écouter. Le vocabulaire que l’on apprend doit être au service de ce que l’on a envie d’exprimer et non pas l’inverse.
Ce n’est pas du fait que le voisin joue vite qu’il faut à tout pris travailler la vélocité. Pour le dire autrement, la musique et l’art en général n’est pas un concours.

L’enjeu est ailleurs, dans la recherche personnelle, intime, pour donner du poids aux mots et façonner notre manière de nous exprimer, celle qui nous ressemble.

Les Arts seraient bien tristes si tout le monde avait la même cuisine équipée, pleine des mêmes plats préparés.


Pour autant, l’étude des grands musiciens n’est pas à exclure. Ele est même naturelle et conseillée. Mais il existe une nuance entre S’INSPIRER et IMITER.

Une tour Organique
L'image en mouvements


L’allégorie de la Tour a toutefois un défaut : la pierre !
Bien qu’il soit bon d’imaginer une bâtisse solide et du ciment reliant brillamment tous les étages, cette tour est résoluement ORGANIQUE.

Elle évolue tout au long de la vie du musicien en fonction de son expérience et bouge également en fonction de ses envies. Le terrain est en effet lui-même alimenté par la Tour.
Les allers-et-retours en son sein permettent au musicien d’en prendre conscience et d’orienter la construction en conséquence.



 En quoi consiste cette fameuse construction ? Se résume-t’elle à mettre les étages les uns au dessus des autres ? Doit-on attendre qu’un étage soit très avancé pour commencer celui de dessus ?

Surtout pas ! Au contraire !

Un exemple : Dans malheureusement beaucoup d’écoles de musique, les élèves doivent "subir" un ou deux ans de "Formation Musicale" (autrement dit, du solfège) avant de pouvoir toucher le moindre instrument. Heureusement, cela se fait de moins en moins mais j’ai été dans ce cas là. Il est évident que bien des élèves décrochent du fait de ne pas avoir pu comprendre où on essayait de les emmener. Attention, je ne dis pas que c’est inutile. C’est souvent bien pratique, je l’avoue, en tant que professeur, d’avoir un élève qui a déjà des notions rythmiques mais je préfère aborder les choses différemments.



 Le fait de s’attarder au départ trop longtemps sur un unique étage (sans avoir conscience des autres) peut être très préjudiciable pour la suite. Il sera très difficile de cimenter les étages entre eux. D’où l’importance d’acquérir rapidement la conscience de la Tour dans sa globalité, quelque soit sa taille.

Un exemple : J’ai appris le nom des notes sans savoir les chanter. Je peux lire des partitions mélodiques sans avoir aucune idée de l’air que cela peut produire. C’est fou, non ?

Un autre exemple : Un enfant peut apprendre très facilement plusieurs langues. Elle seront stockées dans l’air de Broca, partie du cerveau dite "zone du langage". Ainsi, il peut littérallement réfléchir en plusieurs langues. Si l’on apprend une langue à l’âge adulte, elle ne sera pas stockée dans cette zone et il faudra donc faire l’effort de traduire ce que l’on a conceptualisé avec notre langue maternelle en cette autre langue.




 Un étage doit simplement EXISTER pour pouvoir aborder l’étage supérieur. C’est là ma réponse à la question ci-dessus. Attention : ne pas entendre par là-même qu’on peut faire grandir un étage en négligeant ceux du dessous. La nuance est importante car par la suite, un étage doit en effet être suffisamment grand pour pouvoir peaufiner l’étage supérieur. Encore une fois, tout est une histoire de cohérence et d’équilibre.

Le premier jeu que je propose à un élève, après lui avoir mis les baguettes dans les mains (et montrer comment les tenir) est souvent un exercice de coordination des membres très très simple (on est déjà haut dans la tour !) qui dévie très vite sur un travail d’indépendance des membres (encore un peu plus haut). J’adore ce moment car les élèves ont rapidement le sourire. Ils prennent en effet conscience du plaisir que l’on a en tant que batteur à solliciter l’ensemble du corps, et à ressentir chaque coup, chaque rebond. Ce même exercice débouche rapidement sur une rythmique très basique mais que l’on peut dès à présent jouer avec d’autres musicens. La Tour est déjà là, suggérée en filigrane.




 La Tour ainsi initiée grandira à la fois en HAUTEUR mais également en LARGEUR. On comprend donc la nécessité d’élargir la base pour étendre les possibiltés au dessus.




 Mais penser les étages bien rangés les uns au dessus des autres est également une image réductrice. Nous ne sommes pas dans un immeuble tout droit avec des étages identiques. Au contraire, ces derniers arborent des formes différentes évoluant constamment en hauteur et en largeur et prenant leurs racines dans les autres. Ils sont ancrés et imbriqués les uns dans les autres, formant un tout indissociable.
Cette idée peut paraître contradictoire avec l’ensemble de cette démonstration. Or elle est complémentaire. Observer la tour et la shématiser en étages bien distincts permet d’établir des parcours de travail, d’échauffement et d’orienter sa construction.
A l’inverse, une vue holistique : comprendre que la réalité est un peu plus subtile, et que les étages sont tous intimement liés, revient à ne négliger aucune partie en toute circonstance.


Par exemple, certains styles de musique font appel à plus d’indépendance que d’autres.
De même, les notions d’indépendance et de coordination des membres, sont intimement liées. D’ailleurs, il n’est pas déconseillé de travailler un exercice d’indépendance en passant par une coordination des différents éléments les uns par rapport aux autres. Peu importe le chemin même si le but est, par la suite, de réussir à déplacer sa conscience d’un membre à l’autre, acquérant petit à petit l’indépendance désirée.

La tête dans les nuages...

Une dernière idée... Pour finir l’allégorie de la tour "en beauté" ou plutôt éviter une mauvaise "utilisation" de cette image...

"Du haut" de notre tour, nous pouvons contempler (de manière réciproque) les autres musiciens, danseurs, public, etc., et communiquer avec eux. C’est là le but ultime, en effet !


Malheureusement, on pourrait être tenté de confondre la hauteur de la tour (qui permet de mieux comprendre les autres et mieux s’en faire comprendre) et un quelconque niveau hiérarchique. LA TOUR N’EST PAS UN MOYEN POUR SE HISSER OU SE CROIRE AU DESSUS DES AUTRES (même s’il arrive parfois à certains de se perdre dans les nuages...)

Un jour, un saxophoniste m’a dit : "Tu vois, le Jazz, soit tu l’as, soit tu l’as pas !" C’est si simple ? Elle est pas belle la vie ?

Alors qu’au contraire, le comportement d’une grande tour devrait être inverse car elle connaît les difficultés que peuvent rencontrer les musiciens.


En outre, plus sa construction est avancée (attention, je n’ai pas dit finie car elle évolue jusqu’au bout), plus l’on peut l’analyser et ainsi guider de manière structurée les jeunes tours. Lors de cette transmission, on s’oblige donc à étudier finement notre propre tour et on se heurte à des terrains que l’on ne connaît pas. Ainsi, le cours est un véritable échange réciproque, invitant à la modestie. L’apprentissage de l’enseignant continue dans la pédagogie...